A nudez
« Aujourd’hui, les mots adorés ne sont plus que trois. Seulement trois mots sur lesquels la gauche peut s’entendre ? Ô dégringolade ! Ô déclin ! Et quels sont ces trois mots ? Écoutez bien : révolte ; rouge ; nudité. Révolte et rouge, cela va de soi. Mais qu’à part ces deux mots-là seule la nudité fasse battre le cœur des gens de gauche, que seule la nudité reste leur patrimoine symbolique commun, c’est étonnant. Est-ce là tout ce que nous lègue cette magique histoire de deux cents ans inaugurée solennellement par la Révolution française, est-ce là l’héritage de Robespierre, de Danton, de Jaurès, de Rosa Luxembourg, de Lénine, de Gramsci, d’Aragon, de Che Guevara ? La nudité ? Le ventre nu, les couilles nues, les fesses nues ? Est-ce là le dernier drapeau sous lequel les ultimes détachements de la gauche simulent encore leur grande marche à travers les siècles ? »
Milan Kundera, La Lenteur